vendredi 19 juin 2015

Qu'est-ce que l'Autonomie Ouvrière ?

Qu'est-ce que l'Autonomie Ouvrière ?
de Lúcia Bruno

Vosstanie propose une traduction d'un ouvrage de Lúcia Barreto Bruno édité en 1985 au Brésil. Elle sera le support d'une émission de la Web Radio Vosstanie et d'un débat sur la question posée. Il va de soi que nous ne sommes pas en accord avec certains propos, approches du livre (ambiguës sur la question de la "gestion" et "d'auto-gestion" ou de qui a à "gérer") qui a donc 30 ans. Ils posent néanmoins en creux de nombreuses questions, critiques (à faire), de manière très stimulante, dans un débat complexe. Il s'agit donc d'un écrit qui nous permettra de dégager pas mal de perspectives.

O que é Autonomia Operária - Lúcia Bruno. Editora Brasiliense - 1986 . 91p.


Qu'est-ce que l'Autonomie ouvrière ?


Introduction

De nos jours on parle beaucoup d'autonomie ouvrière. Différents auteurs ont discouru sur le sujet et les interprétations sont diverses.

Je ne prétends pas faire ici un tableau des différentes manières d'aborder le sujet. Ni, d'affirmer mon point de vue comme le seul valable. Dès maintenant je m'écarte de toute problématique qui se rapporte à une vérité éternelle, et pense que les idées d'un auteur sont toujours celles qui découlent de sa pratique sociale et non de l'humanité en général.

De plus l'autonomie ouvrière, son développement sa réalisation ne dépendent pas du débat théorique, mais des conditions objectives existantes dans la société contemporaine et de la position que chacun de nous occupe dans la pratique sociale. C'est à ce niveau que les individus s'unissent ou se séparent autour de questions cruciales de notre époque.

Nous verrons, donc, une des possibilités de penser l'autonomie ouvrière, les conditions de son développement, les limites auxquelles sa pratiquement se confronte, et le futur qu’elle nous indique.


L'Autonomie ouvrière: Une pratique de classe


Ce qui définit l'autonomie ouvrière, comme pratique sociale, c'est sa capacité à créer des relations sociales d'un nouveau genre, qui se structurent en antagonisme ouvert avec les relations sociales existantes dans la société capitaliste. Dans quel sens ?

Dans le sens ou l'autonomie ouvrière s'exprime par la pratique de l'action directe contre le capital, sur les lieux de production — épine dorsale du capitalisme. Cette action directe unifie le pouvoir de décision et d'exécution, élimine la division entre travail manuel et intellectuel, abolit la séparation entre dirigeants et dirigés, et fait cesser la représentation par la délégation de pouvoir.

Sur le terrain de l'autonomie ouvrière, le travailleur ne se fait pas représenter. Il se représente.

Il s'agit d'un processus de lutte dans laquelle la classe ouvrière s'organise et se dirige, en se différenciant des classes dominantes de leurs institutions, des pratiques et de l’idéologie d'intégration et d'exploitation. C'est une pratique qui unifie tous les fronts de lutte : économique, politique et idéologique, en ayant comme objectif final le socialisme.

L'autonomie ouvrière est une tendance très ancienne à l'intérieur du mouvement ouvrier, qui s'est manifestée aux moments le plus aigus de l'affrontement de classes. Pendant la Commune de Paris (1871), dans la Révolution Russe (1917), dans la Révolution Allemande (1918/19), dans la Révolution Espagnole (1936/39), dans le mouvement ouvrier portugais après la chute du salazarisme en avril 1974 par exemple.

L'organisation par laquelle le prolétariat en vient, historiquement, à exprimer son autonomie est le Conseil Ouvrier, où tout le pouvoir appartient aux assemblées générales de travailleurs, axe central des débats et de décisions.

J'utilise ici la dénomination de conseil ouvrier, parce qu'elle est déjà entrée dans le vocabulaire commun. En réalité ils ont existé et existent sous des noms divers : commission d'usine, commission de travailleurs, comités de grève, soviet, etc. Ce qui importe comme critère de définition c'est la structure interne de ces organisations, leurs objectifs et l'activité qu'elles développent réellement: le contrôle et la gestion de la production et de toute la vie sociale.

À ce niveau nous pouvons nous demander s'il possible à la classe ouvrière de développer un processus où elle se définit en complète rupture avec la société capitaliste comme un tout. C'est ce que nous allons examiner maintenant.

La classe ouvrière n'est pas une réalité morale, mais sociale. Elle n'a de réalité que dans la manière dont elle s'organise et cette forme est contradictoire.

D'un côté, c'est la classe organisée par le capital, dans les lieux de production, qui développe des relations que le système capitaliste impose, par les machines et une technologie déterminée. Cette logique soumet la classe ouvrière à des opérations fragmentées, qui l'éloigne de la compréhension du processus de travail et en la soumettant à une stricte hiérarchie. C'est la classe ouvrière organisée pour la production de profit dans et pour le capitalisme.

D'un autre côté, les ouvriers développent entre eux, des relations libres et collectives chaque fois qu’ils mènent une lutte directe contre le capital.

Dans ces nouvelles relations, l'égalité entre les ouvriers, dans la lutte contre le système qui les exploite, élimine les hiérarchies imposées par l'entreprise. En outre, la participation dans les réunions et les décisions collectives fait que chaque ouvrier ne s'éloigne pas de la compréhension de sa propre activité. C'est la classe ouvrière auto-organisée qui lutte pour la réalisation de ses propres objectifs.

De la contradiction entre ces deux formes d'organisation découle que tant qu'il y aura du capitalisme, l'une ne se développera pas sans l'autre. La discipline dans les entreprises suscite toujours des formes de luttes. Donc l'entreprise est le terrain premier, mais pas ultime du développement de la lutte pour l'autonomie.

A la suite de ces luttes, la classe ouvrière développe des relations sociales d'un type nouveau, auxquelles je me réfère au début, et qui structurent l'autonomie de la classe face la société capitaliste et la classe des exploiteurs.

Il s'agit de la création de nouvelles institutions sociales où se réalisent les relations établies par la démocratie directe, par la révocabilité et l'éligibilité de délégués par l'assemblée générale de travailleurs, qui auto-institue alors les conditions de développement de la société socialiste.

Dans ce sens, l'autonomie ouvrière ne signifie pas une autonomie organique, physique, en relations avec les institutions capitalistes. Elle ne signifie pas par exemple, l'autonomie des syndicats en rapports avec l’appareil d'État, ni des mouvements sociaux en relation avec les structures partidaires.

Ce que signifie bien autonomie en revanche, concerne les liens avec les modèles capitalistes d'organisation et de gestion, qui comme toujours sont hiérarchisés, centralisent les décisions et reproduisent les inégalités sociales. Comme nous le verrons tout au long de ce livre, l'autonomie ouvrière s'attache à la création d'une nouvelle réalité sociale, dotée d'institutions spécifiques qui se développent en rupture ouverte avec la société capitaliste.



TABLE

L'Autonomie ouvrière: Une pratique de classe
La lutte Autonome
Les institutions Autonomes
La dynamique du processus
Luttes revendicatives et révolution
La transformation des relations sociales dans la lutte en de nouvelles relations sociales de production.
Autogestion ouvrière et marché capitaliste.
La légalisation de la lutte
Autogestion et technologie.
Autonomie ouvrière et partis politiques
Autonomie ouvrière et syndicats
Autonomie et socialisme


Nous introduirons la brochure en la contextualisant avec deux textes et ferons toutes nos réflexions / critiques de cet ouvrage très stimulant.


TÉLÉCHARGER LA BROCHURE VERSION AUDIO 


Vosstanie propose une traduction d'un ouvrage de Lúcia Barreto Bruno édité en 1985 au Brésil. Elle sera le support d'une émission de la Web Radio Vosstanie et d'un débat sur la question posée. Il va de soi que nous ne sommes pas en accord avec certains propos, approches du livre (ambiguës sur la question de la "gestion" et "d'auto-gestion" ou de qui a à "gérer") qui a donc 30 ans. Ils posent néanmoins en creux de nombreuses questions, critiques (à faire), de manière très stimulante, dans un débat complexe. Il s'agit donc d'un écrit qui nous permettra de dégager pas mal de perspectives.


O que é Autonomia Operária - Lúcia Bruno. Editora Brasiliense - 1986 . 91p.


Voir également notre une Émission du 10/12/2017
et la publication de la brochure.




dimanche 7 juin 2015

Le "prix" des idées. A propos de Kostas Papaïoannou (1925-1981)

Le "prix" des idées.
A propos de Kostas Papaïoannou (1925-1981)*


On hésite à la fermeture de ce très sensible et court livre sur Kostas Papaioannou entre une poétique de l'amitié ou de la tragédie.

Amitiés qui se sont affirmées dans des époques troubles et dures, riches en lourds combats.

Tragédie parce que le possible "paradis sur terre" s'est transformé en une fournaise digne des Enfers.

Tout ne brûle peut-être pas en pays d’amitié, mais les idées flambes. Elles flambent et les cendres recouvrent les cerveaux cramoisis et nous serions alors condamnés à faire des ennemis de nos ennemis, "nos amis" ?

Définit comme Aronien "de gauche" ? Kostas Papaioannou défile en faveur du Générale de Gaulle le 30 mai 68. Proche de Raymond Aron qui n'avait pas plus "raison" que Sartre, il participe à certaines publications "subventionnées" par le gouvernement Etatsunien et la CIA (p.130) ou clairement fondée par un militant d'extrême-droite (la revue Est & Ouest heritier du BEIPI fondé en 1949 par Georges Albertini ) (p. 136). Sans parler ici de la revue Contre Point.

Reduire le parcours de  Kostas Papaioannou à cela serait fort réducteur et lapidaire, mais à la fin des années 70 Kostas Papaioannou se retrouve avec tous les apostats du stalinisme universitaires au séminaire de la Ve section de l'EPHE (1) 

Le prix à payer certainement pour "publier" et défendre le camp de la "liberté" ? La naïveté n'a rien à faire dans cette histoire. L'anti-communisme a été un moment une des passerelles étranges, ceci jusqu'à l'ultra-gauche. 

Par exemple le Boris Souvarine qui dénonçait "la guerre civile en France" en 1968  (p.128), n'était plus, et depuis bien longtemps celui des années de la Critique Sociale. Il publiera néanmoins avec Kostas Papaioannou à la fin des années 70 quelques ouvrages et brochures aux éditons Champ Libre ou chez Spartacus. (2)

Rien d'important peut-être, puisqu'il s'agit ici de structures éditoriales marginales et essentiellement sous contrôle d'un individu et non de groupes liés au mouvement réel.

Jamais l'Internationalisme du troisième camp (3)  et clairement anti-stalinien n'est abordé dans le livre, alors qu'il a été porté par des structures comme L'Interntationnale Situtationniste ou Socialisme ou Barbarie (et bien d'autres). Positions que Kostas Papaioannou aurait peut-être pu aborder (en son temps) dans de possibles rapprochements avec Castoriadis ? Ou avec René Vienet ? (p.129).  

Mais peut-être ne s'agit finalement ici que d'une histoire qui relève du poids de la dette en amitiés et des voies de garages de la "marxologie", toute pertinente et riche de critiques qu'elle soit.


Notes.


(1) Ecole pratique des hautes études - Annie Kriegel, Alain Besançon, plus tard en compagnie de François Furet etc...
(2) Il sera peut-être un jour nécessaire de rompre avec les hagiographies, les histoires romancée pour ado attardés.




* Kostas Papaïoannou (1925-1981) : Les idées contre le néant de François Bordes. La Bibliothèques coll. Les Cosmopolites 2015. 172p.