dimanche 30 octobre 2016

Déchiquetage de l'idéologie PIRiste à partir d'une critique du livre d'Houria Bouteldja

Déchiquetage de l'idéologie PIRiste  
à partir d'une critique acérée du livre 
"Les Blancs, les Juifs et nous" - d'Houria Bouteldja

Extrait des Émissions : 
A écouter et méditer avant de relayer et soutenir le PIR et ses affidés....

 
https://vosstanie.blogspot.fr/2016/07/emissions-pour-une-critique-de.html



Solidarité avec Mille Bâbords (Marseille) suite à une descente racialiste.

La « race » à coup de poing américain



NOTE VOSSTANIE


Nous avons toujours combattu les conceptions "ethniques" de la question sociale ceci de la Nouvelle Droite à la gauche républicaine (ou le voile et le drapeau tricole font bon ménage...)
Que celle-ci se nomme maintenant "race sociale" ou  s'invite de nouveau en légitimant la  "race" (voir le propos "notre race existe") ou le concept de "race" comme grille d'analyse et comme conception de la lutte "totale" contre ce monde n'est pas simplement insupportable c'est inacceptable. Comme cette pseudo neutralité qui renvoie dos à dos les "débats". Nous ne palabrerons pas avec les néo-racistes d'Alain de Benoist à Houria Bouteldja.

S'il y a bien "racisation" (comme ethnicisation) de la question sociale, les promoteurs de celle-ci le font avec des catégories (positives) et des pratiques les plus réactionnaires. Dont acte. Nous serons présents pour défendre nos camarades et compagnons. Contre toutes les "races", les "séparatismes" et les "entrepreneurs" souteneurs en éthno-différencialismes....nouvelle manière, et aux vielles méthodes et vieux concepts putrides du stalinisme.

 VOIR AUSSI

vendredi 28 octobre 2016

De « l'en-soi » au « pour-soi » jusqu’à la praxis de classe. Matériaux pour une émission (6)

De « l'en-soi » au « pour-soi »
jusqu’à la praxis de classe.




NOTE INTRODUCTIVE


Quoi de plus ironique (pour d’autres tragique) que de publier ce passage tiré d’un ouvrage d’Henri Weber ? Ancien dirigeant de la LCR (Ligue communiste révolutionnaire) passé au PS après le “tournant de la rigueur” de 1983 ? Peut-être d’y lire certains propos de Robert Michels sur la “petite-bourgeoisie intellectuelle” ? L’ouvrage a néanmoins sa particularité. Il est peut-être le seul qui parle si littéralement et uniquement de “conscience de classe” dans une problématique marxiste.
 
Mais ne nous méprenons pas, la démarche fut publicitaire de l’avant-gardisme et du Parti, frontiste dans son anti-fasciste, toujours guidée par le programme de transition trotskien, c’est à dire l’anti-chambre théorico-pratique de la social-démocratie, et donc ce lieu si naturel ou H.Weber et autres Gérard Filoche ne pouvaient que mourir.
 
Il y a pourtant à prendre dans cet ouvrage plus précisément en creux bien sûr. Nous ne doutons pas que de sa critique pourra émerger un vrai débat, jusqu’à la notion de conscience de classe elle même. Concept qui peut rester fort ambiguë sur certains aspects.
 
Car qui a “conscience” et de “quoi” ? N’interroge-t-il pas sur l’idée de “vérité” qu’il faut toujours manier avec prudence ? Que font ceux qui ont cette “conscience” vis à vis de ceux qui sont censés ne pas “l’avoir“ ?
 
L’ouvrage de H.Weber apporte sa réponse en critiquant avec quelques justesses les positions “objectivistes” mais pour défendre le pire du “subjectivisme” celui du Parti “conscient” et des “révolutionnaires d’avant-garde” (On voit où cela mène). La problématique de la “mission” n’est pas étrangère à l’affaire de cette mystique de l’avant-garde comme d’ailleurs le poids que font peser certains “marxistes” sur le “sauveur” prolétariat. Qui génère toujours autant la désillusion des “croyants”.
 
Rappelons ce que disait Marx dans L'Idéologie allemande: “Les individus ne constituent une classe que pour autant qu'ils ont à soutenir une lutte commune contre une autre classe ; pour le reste, ils s'affrontent en ennemis dans la concurrence” au-delà peut-être ne s’agit-il que de gloser sur sexe des anges.
 
Que ceux qui se pensent “révolutionnaires” (sans révolutions d’ailleurs), s’organisent pour lutter contre l’exploitation et le refus totale du monde est toujours à l’ordre du jour. On se demande d’ailleurs à ce niveau s’il ne s’agit pas d’une injonction plus “éthique” pour certains que d’une nécessité. On sait que le dégoût du monde ne peut s’acheter même avec un “bon” salaire Mais on sait aussi ce qu’il en est de la sociologie des milieux “révolutionnaires” et de ce que cela implique. La frontière est ténue entre la “conscience” militante et l’aristocratisme, comme cache sexe d’un mépris souvent de classe d’ailleurs.
 
Dire que La praxis de la classe en lutte est la seule à même de trancher cet énorme fatras de la “conscience” dans lequel hélas le prolétariat peut tomber, et retombera tant qu’il ne fera que taper du poing sur la table, peut sembler juste mais relève aussi in fine d’une “formule” historiciste réconfortante. Car toutes les lois et nécessités, fussent-elles de l’histoire sont là pour être subverties ! La bourgeoisie ne se gêne pas de le faire à coup de canon ou de peste émotionnelle.
 
On nous fait comprendre que les idées ne valent plus rien ! ou se valent toutes, ou ne mènent jamais au delà d’autres idées….C’est peut-être aussi que nous avons cessé de penser leurs matérialités possibles. Même si après tout on a toujours le luxe de ses idées.
 
Quoiqu’il en soit, on ne peut pas éluder le débat de l’organisation des individus en luttes ou qui ont des “idées” communes, comme celui de la résistance à la propagande de masse opérée par la naturalisation du marché. Dont l’entreprise de “séduction” par son esthétique, demeure bien plus “désirable” (avec un flingue sur la tempe) qu’un communisme ou un anarchisme qu’on nous vend de plus en plus ouvertement comme ascétique, pour toujours mieux renvoyer les débats sur la Révolution dans les arrière-mondes de la “nécessité historique ” du pragmatisme apocalyptique ou de la fuite “national-communaliste”.
 
Si nous devons critiquer l’ouvrage de H.Weber il nous faut insister aussi sur le fait que : Le léninisme a produit son pire produit, l’anti-léninisme. Plus précisément celui qui déconnecte forme et fond des mouvements sociaux, prend le chemin pour le but, la forme pour le fond.
 
Ainsi insister sur “l'autonomie” des actions prolétaires ne suffit pas. Car faire de l'autonomie un principe obligatoirement révolutionnaire comme ce fut le cas du “dirigisme” par une minorité, conduit à la même impasse fétichiste. Peut-être aussi à une forme de populisme dont la matrice est d’avoir tant espérer et trop attendu.
 
Nous ne voulons pas être les témoins de Jéhovah de la révolution pas plus les défenseurs d’une autonomie de la forme sans contenu. Il nous faut simplement assumer d’être des individus historiques c’est à dire “conscients” que isolés rien ne sera possible.


EXTRAIT


« L'en-soi » et le « pour-soi » de la classe

C'est donc après 1845, sur la base d'une réflexion sur le mouvement ouvrier européen, l'étude de ses idéologues, et partant, de la rupture théorique avec l'hégélianisme de gauche (concrétisée par les Thèses sur Feuerbach), que Marx produit sa propre théorie de la Révolution socialiste, et donc la théorie du prolétariat comme classe révolutionnaire

Pour le jeune Marx de 1845, la classe ouvrière n'est pas spontanément révolutionnaire. La classe ouvrière, c'est, d'abord et partout, la classe « en-soi », c'est-à-dire la classe telle que la produit le développement du mode de production capitaliste, pur objet du processus économique, simple « matière à exploitation ». La classe « en-soi » n'a ni conscience d'elle-même ni, a fortiori, conscience de ses intérêts historiques. Elle partage les idées, les valeurs, la conception du monde que propage la classe dominante. Elle tient la place que lui assigne cette classe dans les rapports capitalistes de production. Elle ne conçoit pas d'autres rapports sociaux possibles. Elle est « déjà une classe vis-à-vis du capital, mais pas encore pour elle-même ».

Bref, la classe dominée de la société bourgeoise est également dominée idéologiquement. Son asservissement idéologique constitue d'ailleurs le garant le plus efficace de l'ordre établi, le moyen pour la classe dominante de perpétuer sa domination « pacifiquement ».

Dans la formation sociale capitaliste l'asservissement idéologique de la classe dominée est plus prégnant que dans toutes les sociétés antérieures. Il ne procède pas simplement du monopole de la classe dominante sur les moyens d'éducation et d'information. Il s'enracine dans la nature même des rapports sociaux :

La généralisation de la production marchande, explique Karl Marx, entraîne la réification de tous les rapports humains. Les relations humaines qualitatives se transforment en attribut quantitatif des choses.

« Toutes les formes d'organisation de la production qui ont précédé l'économie marchande, écrit L. Goldmann, étaient caractérisées par l'existence d'unités de production et de consommation à l'intérieur desquelles l'organisation de la production des biens et leur répartition se faisaient suivant un schéma sans doute inique et inhumain, mais toujours transparent et facilement compréhensible . »

Avec l'avènement du capitalisme, cette limitation des unités économiques et cette transparence relative du caractère humain de l'organisation de la production disparaissent. La généralisation de l'échange étend le champ de la production à tout le globe : un capitaliste britannique travaille avec des matières premières égyptiennes et écoule ses produits finis en Inde. La régulation de la production par le marché mondial — sur lequel chaque producteur se trouve confronté à des acheteurs et à des concurrents unis par la recherche du plus grand gain immédiat et agissant indépendamment et à l'encontre les uns des autres — brouille la transparence de l'organisation de la production, la rend opaque, fantasmagorique. L'activité propre de l'homme, la production matérielle et ses résultats apparaissent comme une puissance objective et étrangère, indépendante de l'homme et le dominant.

Comme l'écrit fort bien Lukács,

« ... lorsque le capitalisme s'impose comme mode de production dominant, les rapports, les relations entre personnes prennent le caractère d'une chose, acquièrent « une objectivité illusoire » qui, par son système de lois propre, rigoureux, entièrement clos et rationnel en apparence, dissimule toute trace de son essence fondamentale ».

Cette réification générale des rapports sociaux de production dissimule mieux que toute idéologie explicite la véritable nature de ces rapports. Elle confère aux idéologies bourgeoises un soubassement inconscient solide. On peut contester un type de relation, mais qui contestera la nature même des choses, leurs qualités objectives, leurs lois d'évolution?

Mais, si profondément et solidement enraciné soit-il, cet asservissement idéologique de la classe ouvrière n'est pas immuable. L'efficacité de la domination idéologique est largement fonction du dynamisme du système. Elle est particulièrement forte dans sa phase ascendante, lorsque la classe dominante est capable de développer rapidement les forces productives; lorsque les contradictions du système se manifestent sous une forme embryonnaire ou atténuée.

Mais la domination idéologique de la bourgeoisie ne conserve pas éternellement cette belle efficience. Elle entre en crise à mesure que le système entre en crise lui-même. Un moment survient nécessairement où l'exacerbation des contradictions capitalistes dément l'idéologie dominante, quelles que soient ses adaptations. « La réalité se critique elle- même. »

Alors s'ouvre un espace pour la critique radicale du système.

A la classe « en-soi » s'oppose la classe « pour soi », pleinement consciente de ses intérêts historiques, du système social qui les réalise, et partant, de l'antagonisme fondamental qui l'oppose à la société bourgeoise. La classe « pour-soi » ne se comporte plus comme simple collection d'agents économiques cherchant à vendre le plus chèrement possible leur force de travail. Elle s'est émancipée de la tutelle idéologique et politique de la bourgeoisie. Elle lutte désormais consciemment pour ses propres fins : la destruction des rapports sociaux existants, l'instauration du socialisme. Elle n'est plus simple rouage de l'économie mais sujet du processus historique.

Le rôle central du concept de « praxis révolutionnaire »

Mais comment la classe « en-soi » se transforme-t-elle en classe « pour-soi »?

Par le développement de sa pratique historique de lutte, répond Karl Marx.

La classe ouvrière n'est pas la classe révolutionnaire de la société bourgeoise parce qu'elle est la classe la plus misérable ou la plus opprimée. D'autres classes (la petite paysannerie, le lumpen prolétariat) sont plus misérables et plus opprimées qu'elle. Elle est la principale classe révolutionnaire, parce qu'en raison de la place qu'elle occupe dans les rapports sociaux de production, elle est d'une part, acculée à une pratique historique de lutte de grande envergure, et d'autre part, elle dispose dans cette lutte d'une formidable puissance sociale.

Elle est acculée à la lutte, parce que tout le système social est organisé en vue de l'exploitation maximum de sa force de travail. Si elle ne combat pas énergiquement, à tous les niveaux, les exigences du capital, si elle ne s'organise pas méthodiquement dans ce but, son degré d'exploitation s'élève jusqu'aux limites physiologiquement supportables et même au-delà. Dans cette lutte, la classe ouvrière dispose d'atouts redoutables. Elle est la classe la plus nombreuse, la plus concentrée, la plus homogène, « unie et disciplinée par le mécanisme même de la production capitaliste ». Surtout, c'est elle qui met directement en œuvre les forces productives modernes.

Aussi elle est en mesure de paralyser la production, donc de porter des coups mortels à son adversaire de classe, au niveau de l'entreprise et de la société.

Dans la société capitaliste, le prolétariat vit l'antagonisme de classe sous une triple forme : en premier lieu en tant que classe productive il entre en antagonisme avec ceux qui ont la haute main sur son travail et ses produits : le patronat et son aréopage. Les intérêts sont ici rigoureusement contradictoires, et cette contradiction structurelle engendre un conflit permanent, une lutte de classe élémentaire dont l'enjeu est le prix de la force de travail et les conditions de son exploitation. A travers cette lutte élémentaire, incessante, les travailleurs prennent conscience d'eux-mêmes, du rôle qu'ils jouent dans la production, de leurs intérêts en tant que producteurs, de l'antagonisme qui les oppose au patron, ils prennent conscience de leur identité et de celle de leur adversaire.

Mais l'antagonisme entre capitalistes et prolétaires n'en reste pas à ce niveau limité, éclaté, micro-social. Il ne se réduit pas à l'antagonisme économique entre ouvriers et patrons. Il se prolonge au niveau de la totalité sociale.

D'une part parce que toutes les institutions de la société bourgeoise visent, de façon plus ou moins médiée, à consolider et reproduire les rapports capitalistes d'exploitation. Cette fonction essentielle des institutions se révèle notamment en période de lutte. Dans leur conflit avec le patronat, les travailleurs sont confrontés à « l'arbitrage » des appareils d'Etat. Ils entrent en conflit avec ces appareils (police, justice, administrations, médias, armée...) dont la nature et la fonction sont alors clairement perceptibles.

A ce niveau, la conscience d'elle-même et de ses adversaires acquise par la classe se précise. Elle intègre des éléments de connaissance des diverses instances et niveaux de la société globale : connaissance des diverses institutions étatiques et du comportement des autres classes et fractions de classes. La conscience ouvrière devient conscience politique de classe.

Enfin, la concurrence effrénée que se livrent les capitalistes en vue de l'accumulation du capital engendre, au niveau de la société globale, l'anarchie de la production, des dysfonctionnements multiples, des gaspillages inouïs dont les travailleurs sont les premières victimes. Généralement masquée en période d'expansion, l'irrationalité profonde du système, avec son cortège de souffrances, éclate au grand jour dans les phases de crise ouverte. Les prolétaires vivent, plus dramatiquement que les autres classes, l'antagonisme entre le type de développement qu'impose la course aux profits maximum et l'exigence de satisfaction des besoins humains. Ils sont donc amenés à contester la finalité même du système, et à le combattre au nom d'une société réalisant d'autres valeurs et poursuivant d'autres fins.

De par sa position dans le procès de production capitaliste, donc, la classe ouvrière se trouve au coeur d'un triple conflit : conflit économique avec les patrons (exploiteurs/exploités); conflit politique avec l'État bourgeois (oppresseurs/opprimés); conflit social avec la société bourgeoise. A un certain niveau d'exacerbation des contradictions objectives du système, elle vit ces trois conflits simultanément et intensément. Sa pratique de lutte lui permet d'acquérir alors un point de vue autonome sur la totalité sociale.

La classe ouvrière est en situation d'identifier son conflit immédiat avec le patronat aux antagonismes plus généraux qui l'opposent à la politique de la classe dominante. Elle est en situation de comprendre la vérité de la société bourgeoise en même temps que d'imaginer une autre société possible.

Ainsi assiste-t-on à deux mouvements convergents : la domination idéologique de la bourgeoisie devient plus vulnérable. Cependant que s'affine et s'étend la conscience critique du prolétariat.”


Pages 52 à 59. Extrait de: Marxisme et conscience de classe de Henri Weber - Union générale d'éditions (10/18), Paris, 1975. (Il s’agit de sa thèse qu’il a soutenu à la Sorbonne, en 1973, sous la direction de Maurice de Gandillac.)

mercredi 26 octobre 2016

Karl Marx Essai de biographie intellectuelle par Maximilien Rubel (Parution)

Karl Marx 
Essai de biographie intellectuelle 
par Maximilien Rubel

En 1957, lors de la parution de Karl Marx, essai de biographie intellectuelle, Maximilien Rubel a présenté un Marx « tel qu'en lui-même », à l'opposé du Marx tel qu’il avait été composé par les différents marxismes d’État ou de parti. Ce Marx inédit, singulier, qui, selon Karl Korsch, apparaît comme un penseur de l’émancipation parmi d’autres, et non plus comme le père fondateur d’une doctrine à vocation mondiale. Un Marx auteur d’une œuvre de pensée avec ses difficultés, ses éventuelles contradictions, mais aussi l’exigence d’une émancipation radicale, de sorte qu’il pouvait devenir, comme M. Rubel l’a montré, le critique le plus virulent de ce qui portait le nom de marxisme. Le lecteur d’aujourd’hui peut être d’autant mieux aux écoutes de l’œuvre de M. Rubel que l’effondrement de l’URSS et des régimes satellites prétendument socialistes a eu pour effet paradoxal de nous rendre un Marx débarrassé des concrétions idéologiques qui avaient dressé un véritable écran entre lui et nous. Cette réédition inaugure le temps d’une explication avec Marx. À la lecture de M. Rubel naissent des questions ouvertes : peut-on voir dans Marx l’auteur d’une sociologie ? N’est-il pas plutôt l’initiateur d’une critique sociale qui va jusqu’aux racines, ou bien d’une théorie critique de la société ? Comment convient-il de penser ici et maintenant l’articulation entre sociologie et éthique ?

Comme le montre dans sa préface Louis Janover, le collaborateur de M. Rubel, cette biographie intellectuelle est la source étonnamment féconde de toute une œuvre qui s’est déployée dans des directions multiples, pour laisser apparaître les différentes facettes de Marx : les Pages choisies pour une éthique socialiste qui datent de 1948 avec l’introduction de M. Rubel à « une éthique marxienne », Marx critique du marxisme, les Études de marxologie et les quatre tomes de l’édition incomparable de Marx dans la Pléiade, travail où se mêlent érudition et désir d’émancipation, adressé au seul public qui importe : « L’humanité pensante qui est opprimée et l’humanité souffrante qui pense. »


Avant-propos pour la deuxième édition 
par Maximilien Rubel (1969)

"A l'époque où ce livre parut, il posait les problèmes qui n'ont pas cessé de nous hanter. II n'apportait pas une exégèse de plus, car la pensée de Marx était déjà recouverte d'une épaisse broussaille littéraire, où s'enchevêtraient les thèses les plus contradictoires. Il se proposait simplement de faire entendre la voix du révolutionnaire lui-même, parlant pour le seul public qui lui importait : « L'humanité pensante qui est opprimée et l'humanité souffrante qui pense » (1). Le langage qui s'imposait, c'était celui de la communication et de la communion, le seul accessible à l'interlocuteur de Marx, à l'homme qui vit d'une existence empruntée et octroyée. A cet être amputé, privé de ses possibilités créatrices, il fallait faire comprendre en quels abîmes il traîne sa vie, et comment un homme s'est donné à tâche de lui désigner d'autres horizons.

Portes ouvertes, dira-t-on. C'est vrai ; il faut seulement les enfoncer. Les mots de tous les jours font l'affaire.

Dix ans ont passé. La broussaille est plus épaisse d'avoir été soigneusement cultivée. L'interprétation des textes sacrés en défend plus que jamais l'accès. Les spécialistes de « l'univers langagier» ont organisé des passages-labyrinthes qui, pour être inaccessibles aux profanes, n'en réjouissent pas moins les amateurs d'herméneutiques obscurcissantes. On ne peut s'empêcher de songer à d'autres civilisations qui, sentant leur déclin, se drapèrent d'oripeaux rutilants et s'adonnèrent à la griserie du verbe.

Plus l'horreur moderne est visible, plus il importe qu'elle soit incommunicable. Les praticiens de la rhétorique et de la fausse abstraction vont là pour avilir l'expression toute crue des faits observables, et pour en offrir une version abstruse. A qui ? A la confrérie des initiés, des privilégiés de la « culture », des avaleurs de mots nouveaux ; aux meneurs de .foule prêts à sacrifier à toutes les modes intellectuelles, à condition de réussir dans leur entreprise démagogique : faire accepter le monde baptisé « socialiste » comme l'accomplissement des espérances .formulées par l'auteur du Capital.

L'ouvre de Marx n'est certes pas toujours d'un abord facile ; ou plutôt elle offre parfois des difficultés ; mais en toutes ses parties elle est rédigée avec rigueur et sans offense au sens commun, lors même que la passion du pamphlétaire justicier l'emporterait sur le souci de la froide analyse critique.

De cette oeuvre, on aperçoit les fondements et le projet, l'argument et la finalité. Rien n'est plus étranger à son esprit qu'une clef de l'inconnaissable, ou un éclair de vérité qui s'appellerait éblouissement. Elle est de bout en bout un irrespectueux démenti infligé à tous les prestiges du verbe. Ses ambiguïtés proviennent rarement d'un abus de langage ; elles sont la marque d'un penseur pour qui la recherche de la vérité et toute découverte scientifique sont la tâche commune de ceux qu'un heureux coup du destin a institués libres éducateurs de leurs frères délaissés par la chance.

Jadis, quand survenait une querelle, c'était sur un point ou un aspect de la théorie, dont l'objet même était rarement en cause, tant la langue est transparente (exception faite, peut-être, de quelques pages dont Marx voulut qu'elles fussent ardues, pour exciter la curiosité des spécialistes de son temps) . Au reste, faiblesses et erreurs de raisonnement pouvaient être décelées à l'aide de la même logique qui guidait l'auteur dans l'exposé de son enseignement. Et si, du vivant de Marx, on refusait à celui-ci le dialogue et la critique, c'était moins pour des raisons touchant au sens du discours offert à la réflexion que parce que les énoncés réclamaient du lecteur une réponse qui ne pouvait être qu'un engagement moral et actif : rester indifférent, c'était se rendre complice de la barbarie dénoncée. Le mutisme des contemporains de Marx équivalait alors à une réaction de défense.

L'accueil réservé autrefois à ce livre est loin d'avoir été unanimement favorable et si certaines critiques semblent avoir perdu depuis leur fondement, c'est que la thèse centrale de cet essai a cessé de rencontrer un refus systématique auprès de certains auteurs qui se sont institués gardiens incorruptibles de l'héritage intellectuel de Marx. Cette acceptation s'explique en fait par le désir de se conformer aux exigences de l'opportunisme politique plutôt que par une recherche et une réflexion personnelles. En bref tout semble indiquer que la mode marxiste va nous proposer un nouveau travesti tout aussi désordonné que les précédents, et cela avec d'autant plus d'éclat que, dans sa variante bolchévik, le marxisme érigé en idéologie d'État a institutionalisé la « morale marxiste ». Par cette consécration officielle d'une morale prétendument inspirée par Marx, on a voulu prouver l'inanité de notre effort : dégager de son enseignement une éthique socialiste. Nous refusons, bien entendu, d'accepter la caution du bolchevisme dans ses variantes stalinienne et post-stalinienne comme une confirmation de la justesse de notre analyse, au même titre que nous n'identifions pas celle-ci aux tentatives orthodoxes ou néo-kantiennes, chrétiennes ou néo-chrétiennes dont le caractère spéculatif n'est pas moins éloigné de notre préoccupation que les palinodies du marxisme-léninisme. Ce seul fait suffit à justifier à nos yeux la présence de ce livre parmi la masse d'écrits qui se veulent décrypteurs du texte laissé par Marx.

A titre d'exemple, nous donnons ici quelques jugements et critiques dont l'intérêt nous paraît durable — tout au moins dans la situation actuelle d'un marxisme purement rhétorique — et qui sont de nature à éclairer le lecteur sur le sens de notre essai : « Rubel peut comparer la réaction anti-hégélienne de Marx à celle de Kierkegaard contre la même doctrine, sans négliger bien entendu la différence : Kierkegaard proteste au nom de l'individu concret et Marx au nom de la société concrète. » Et à propos de « inspiration éthique du socialisme marxien », le même chroniqueur tient la démonstration pour irréfutable, « fondée sur l'analyse la plus précise de la lettre et de l'esprit des textes, compte tenu des dates et de toute la documentation accessible » (2). Selon un autre critique, « (...) M. Rubel a cent fois raison de souligner qu'une préoccupation éthique constitue en quelque sorte le moteur de l'activité intellectuelle de Marx. Sa tentative de faire rentrer l'ensemble de l'oeuvre scientifique de Marx dans le cadre de la sociologie est plus discutable, mais peut à la rigueur se soutenir comme l'une des interprétations possibles. En revanche, il nous semble qu'en essayant de dissocier l'aspect éthique et l'aspect sociologique de l oeuvre de Marx, M. Rubel adopte une position qui est à la fois contraire au génie même de la pensée marxienne, et peu utile pour la compréhension » (3)."

Suite de l'avant-propos pour la deuxième édition  par Maximilien Rubel (1969)

TABLE

Préface  de Louis Janover.

Avertissement
Avant-propos de la deuxième édition

Introduction

I. Libéralisme et socialisme
1. Une vocation.
2. L'État et le règne de la raison.
3. Critique de la philosophie de l'État de Hegel.
4. Adhésion à la cause du prolétariat.
5. Économie politique et éthique sociale.
6. Socialisme et sociologie.

II. Sociologie
1. Matérialisme pragmatique.
2. Créations idéologiques.
3. État et révolution.
4. Sociologie économique et politique.
5. Sociologie historique.

III. La civilisation du capital
Introduction : La commune villageoise.
1. Problèmes méthodologiques.
2. Fétichisme social.
3. De l'aliénation à l’individu intégral.
4. Le capitalisme « pur » et ses lois.
5. Problèmes de sociologie concrète.

Conclusion
Bibliographie. L’œuvre de Karl Marx.
Index nominatif et bibliographique.

Editions Klincksieck 464pages.

vendredi 21 octobre 2016

Le concept thompsonien de conscience de classe - Matériaux pour une émission (5)

Le concept thompsonien de conscience de classe


Matériaux pour une émission (5)


"Résumons à présent en quelques thèses le concept thompsonien (1) de conscience de classe. Dans le rapport qu’elle entretient à des conditions déterminant objectivement son existence, mais qu’elle entreprend de transformer, la conscience est donc ici formatrice d’un sujet (collectif) ; pourtant, la conscience de classe est avant tout un « phénomène historique » situé en-deçà de la distinction sujet/objet : elle unifie « des événements disparates et sans lien apparent, tant dans l’objectivité de l’expérience que dans la conscience » (p. 15). Elle est ensuite un phénomène relationnel, à penser en termes dynamiques – « la classe est un rapport et non une chose » (p. 17) – et, plus encore, en termes de rapports vécus : elle est « quelque chose qui se passe en fait (…) dans les rapports humains » (p. 15). Elle n’est dès lors ni une structure a priori de l’expérience ni une catégorie simplement descriptive, puisqu’elle « implique celle de rapport historique. Comme tout autre rapport, c’est un phénomène dynamique qui échappe à l’analyse dès lors qu’on tente de le figer à un moment particulier pour en dégager les composantes (…). Ce rapport doit toujours s’incarner dans des hommes et un contexte réels » (p. 15).

Dans le contexte qui est le nôtre, cette dimension relationnelle ne pourra être envisagée qu’à partir de sa nature agonistique. Ainsi que Thompson l’écrit du mouvement luddite, « dans les contrées du cœur de la révolution industrielle, on voyait apparaître de nouvelles institutions, de nouvelles attitudes, de nouveaux cadres communautaires, qui étaient destinés, consciemment et inconsciemment, à résister à l’intrusion du magistrat, de l’employeur, du pasteur, de l’espion. La nouvelle solidarité n’était pas seulement une solidarité avec ; c’était aussi une solidarité contre » (p. 638).

Phénomène historiquement concret, relationnel et conflictuel, la conscience de classe, si elle relève, on le sait, d’« un processus actif, mis en œuvre par des agents », reste donc dépendante de certaines conditions objectives. C’est le terme d’expérience, d’expérience de classe qui prend en charge cette dernière dimension. Si toute conscience de classe se crée (pour soi) à partir d’expériences multiples qu’elle n’a pas créées, elle ne se réduit pas à ces dernières (qui la désignent uniquement comme classe en soi) (2) : « Au contraire de l’expérience de classe, la conscience de classe ne se présente pas comme déterminée ».

Exactement dit, si « l’expérience de classe est en grande partie conditionnée par les rapports de production dans lesquels la naissance ou les circonstances ont placé les hommes », la conscience de classe est plutôt « la manière dont ces expériences se traduisent en termes culturels et s’incarnent dans des traditions, des systèmes de valeurs, des idées et des formes institutionnelles » (p. 16). Aussi s’agira-t-il toujours pour l’auteur de partir d’une « expérience » (l’expérience de la révolution industrielle telle qu’elle est vécue dans le petit peuple) et, en l’étudiant dans « le détail », de mettre en lumière le lieu « d’où sortit l’expression politique et culturelle de la conscience de classe ouvrière » (p. 272).

C’est évidemment dans la tension de l’expérience et de la conscience, de la condition objective et de la subjectivation transformatrice, que se loge la problématique « dialectique » étudiée à l’instant : c’est en ce sens que la conquête de la conscience de classe, tout comme le « développement du respect de soi et de la conscience politique », pourront aussi être mis au crédit de la révolution industrielle et des idéologies qu’elle charriait. Dire que le rapport de l’idéologie à ce qui y résiste est de nature dialectique, c’est donc dire non seulement que la coupure à l’égard de l’idéologie n’est jamais définitivement acquise (et l’on comprend mieux la critique thompsonienne du premier Althusser ), mais encore qu’une conscience de classe provient de et demeure dans l’élément idéologique, en tant qu’elle puise dans cette même dimension les forces antagoniques qui, politiquement, s’opposent à elle.

Voilà bien pourquoi Thompson insiste tant sur l’idée que la conscience de classe s’incarne concrètement, d’une part dans un ensemble de conduites et de valeurs, d’autre part dans des formes organisationnelles spécifiques. Pour autant, sphères culturelles et axes institutionnels n’ont pas de contours nettement découpés d’un moment historique à un autre, ni même d’une classe à une autre (ni d’ailleurs au sein d’une même classe). Les valeurs et les formes culturelles où s’incarnent la classe ouvrière sont dépendantes de valeurs et de formes antérieures, transformées par la révolution industrielle, et sur lesquelles fait fond, pour mener à bien sa formation, la classe ouvrière, mais au prix de les modifier elles-mêmes en retour, etc. Les sociétés de secours mutuel sont exemplaires : elles favorisent la formation de la conscience de classe en tant qu’elles résultent elles mêmes de l’expérience de classe : « Les sociétés de secours mutuel ne “découlaient” pas d’une conception de la société ; les conceptions, comme les institutions, furent le produit de certaines expériences communes (…). En même temps, on peut voir ces sociétés cristalliser une éthique de la mutualité répandue beaucoup plus largement dans les expériences “denses” et “concrètes” des ouvriers » (p. 557)."



Extrait  « Sur le concept de conscience de classe dans La Formation de la classe ouvrière
anglaise, et au-delà », de Thomas Bolmain, - Cahiers du GRM [En ligne], 5 | 2014, mis en ligne le 06 mai 2014,
Un article à lire dans ta totalité ici  http://grm.revues.org/418 

Si sur certains aspects l'article est fort intéressant la conclusion vaut le détour...ainsi " Il faut admettre que l’actualité effective de la notion de conscience de classe, en 2013, ne va nullement de soi. Le lieu où nous pouvons commencer d’appréhender de façon renouvelée sa nature et son fonctionnement, est un lieu pour l’heure cantonné au domaine théorique" de quoi franchement rire après la lecture de l'article. Nous serions tentés d'inviter son auteur à fréquenter un peu plus le "réel"....les "conditions objectives" ou certains lieux de sociabilités même primaires de la "classe ouvrière" en lutte ou pas.


(1) Edward Palmer Thompson (1924-1993)

(2). On lira dans cette perspective le texte ancien – d’ailleurs peut-être sartrien autant qu’hégélien – de C. Castoriadis, « Phénoménologie de la conscience prolétarienne », in La Question du mouvement ouvrier. Écrits politiques 1945-1997, I, t. 1, Paris, éd. du Sandre, 2012, p. 363-377.


jeudi 20 octobre 2016

Benjamin Péret l'astre noir du surréalisme de Barthélémy Schwartz (A lire)



"Péret accordait à la poésie une très forte puissance de contestation lorsqu'elle était en capacité de tracer une ligne de communication avec les révoltes de son époque. La poésie véritable restait liée chez lui à la contestation, parce que le poète est celui qui «prononce les paroles toujours sacrilèges et les blasphèmes permanents»."p 228 


Benjamin Péret l'astre Noir du surréalisme de Barthélémy Schwartz - Editions Libertalia, 2016. 328p.



lundi 17 octobre 2016

Qu’est-ce que la conscience de classe (Extrait) de Wilhelm Reich - Matériaux pour une émission (4)

Qu’est-ce que la conscience de classe (Extrait p15-25)
de Wilhelm Reich


NOTE VOSSTANIE: Si le texte de Wilhelm Reich est encore léninisant par certains aspects il est une critique explicite du Parti et de l'avant-gardisme, de ses oeillères mais aussi du marxisme orthodoxe. Bien sûr nous sommes étrangers à un type de vocable que l'on trouve tout à fait obsolète (“la direction" ,”planification”etc...) il est aussi en rupture avec notre démarche. Pour autant le texte est riche de pistes, de réflexions qui viendront nourrir notre émission sur la Conscience de classe.


Si l'on nie que ce qu'il est loisible d'appeler conscience de classe, ou ses éléments ou conditions, se forme dans la classe opprimée, c'est parce qu'on ne connaît pas les formes concrètes de cette conscience; de plus, la direction se trouve placée dans une impasse: quelles que soient son intrépidité, sa préparation et ses autres qualités, aucune direction ne pourra jamais introduire dans les masses ce que l'on appelle conscience de classe, s'il ne se trouve déjà dans le prolétariat quelque chose qui y ressemble. Car que doit-on apporter aux masses ? La connaissance hautement spécialisée du processus sociologique et de ses contradictions ? Ou la connaissance compliquée des lois de l'exploitation capitaliste ? Les partisans de la Russie révolutionnaire avaient-ils ce savoir lorsqu'ils combattaient avec enthousiasme, ou bien n'en avaient-ils pas besoin ? Étaient-ils des ouvriers et paysans "doués de conscience de classe", ou simplement des rebelles ? Nous posons ces questions pour montrer à quel point elles sont sans issue.

Cherchons un point de départ dans l'expérience et la pratique toutes simples.

On discutait fort, dans un groupe politique, récemment, de la conscience de classe et de la nécessité de "l'éveiller massivement" . Les participants durent, pour la première fois, se poser la question: de quoi parle-t-on exactement ? Que veut-on dire en parlant de conscience de classe ? L'un d'entre eux (1) en effet, qui avait jusque là gardé le silence, pria un dirigeant, zélé défenseur de la conscience de classe du prolétariat allemand, de bien vouloir énumérer cinq éléments de la conscience de classe, et éventuellement cinq facteurs contrariant son développement. Si l'on veut développer la conscience de classe, dit-il, on doit d'abord savoir ce que l'on veut développer, pourquoi elle ne se développe pas spontanément sous la pression des besoins de toute espèce, et donc ce qui l'en empêche . La question paraissait logique. Le responsable interrogé fut d'abord quelque peu étonné, hésita un moment, puis répondit avec assurance: "Mais la faim, naturellement : " — "Est-ce que le membre de la S.A. (2) affamé est doué de conscience de classe ? , lui répliqua-t-on aussitôt. Est-ce que le voleur qui, poussé par la faim, vole une saucisse, ou le chômeur qui pour deux marks accepte de participer à un défilé réactionnaire, ou l'adolescent qui lors d'une manifestation jette des pierres sur la police, sont doués de conscience de classe ? Si donc la faim, sur laquelle le K.P.D. (Parti Communiste Allemand) a bâti toute sa psychologie de masse, n'est pas encore en elle-même un facteur de la conscience de classe, que faut-il de plus ? Quel est son aspect concret ? En quoi la liberté socialiste diffère-t-elle de la liberté nationale que promet Hitler ?


Les réponses ne furent pas du tout satisfaisantes. Les journaux de gauche avaient-ils posé ces questions et y avaient-ils répondu ? Nullement. La conception selon laquelle la classe opprimée peut d’elle-même, sans direction, par une volonté révolutionnaire spontanée, assurer la victoire de la révolution, n'est pas moins fausse que la conception inverse selon laquelle cette victoire ne dépendrait que de la direction, qui n'aurait qu'à créer la conscience de classe. La direction ne pourrait jamais y parvenir, si cette conscience n'était pas en quelque façon déjà là, quoique sous une forme spontanée. S'il est donc vrai que la révolution sociale a pour condition subjective l'accord d'un certain état psychique de la masse avec la conscience plus élevée de la direction révolutionnaire, il n'en est que plus nécessaire de répondre à la question: "Qu'est-ce que la conscience de classe ? . Si l'on objecte ici que la question est superflue, car l'on a toujours affirmé devoir s'appuyer sur les "besoins quotidiens", nous demandons alors: est-ce "développer la conscience de classe" que de réclamer l'installation de ventilateurs dans une entreprise ? Et qu'en est-il lorsque le conseil d'entreprise ? N.S.B.O. (3) le fait aussi, et peut-être même avec plus de talent ? S'est-il ainsi gagné le personnel ? Où est la différence entre la défense des "petits intérêts" par les socialistes et cette même défense par les fascistes, entre notre slogan de liberté et le slogan "la force par la joie" ? (4)


Pense-t-on à la même chose, lorsqu'on parle de la conscience de classe de l'apprenti et de celle du dirigeant d'un mouvement de jeunesse ? On dit que la conscience des masses doit être haussée au niveau de la conscience de classe révolutionnaire; si l'on entend par là la connaissance spécialisée du cours de l'histoire que le dirigeant révolutionnaire doit posséder, on poursuit une utopie. On ne parviendra jamais dans le capitalisme, par quelque moyen de propagande que ce soit, à infuser ce savoir très spécialisé dans les larges masses qui doivent mener à bien l'insurrection et la révolution. Etant donné que dans les réunions électorales on se contentait de proférer des slogans ou bien, comme cela fut souvent le cas au Palais des Sports, de faire disserter un responsable pendant des heures sur la politique financière de la bourgeoisie ou les antagonismes américano-japonais, on étouffait à tout coup l'excitation et l'enthousiasme initiaux, on prêtait aux masses l'intérêt et les aptitudes nécessaires pour l'analyse économique objective, et l'on détruisait chez des milliers d'auditeurs ce qu'on appelle à juste titre le sentiment de classe. La politique marxiste révolutionnaire a jusqu'à présent supposé une conscience de classe toute prête dans le prolétariat, sans être capable de l'analyser en détail et concrètement. Elle a prêté sa propre connaissance des processus sociologiques - d'ailleurs souvent erronée - à la conscience des classes opprimées, ce qui a été récemment qualifié d'"idéalisme subjectif". Cependant, dans toute réunion communiste, on dépistait sans ambiguïté la "conscience de classe" de la masse, et l'atmosphère s'y distinguait nettement de celle de toute autre organisation politique. Il doit donc y avoir dans les larges masses une sorte de conscience de classe qui se distingue fondamentalement de celle de la direction révolutionnaire. Il y aurait donc concrètement deux sortes de conscience de classe: celle de la direction révolutionnaire et celle de la masse ; il faut que les deux s'accordent. La direction n'a pas de tâche plus pressante, outre la connaissance précise du processus historique objectif, que celle de comprendre:

a. Quelles idées et quels désirs progressistes existent selon les couches, professions, classes d'âge et sexes.

b. Quels désirs, angoisses et idées entravent le développement de l'aspect progressiste ("fixations traditionnelles").

La conscience de classe des masses n'est pas toute prête, comme le croyait la direction du K.P.D. , mais elle n'est pourtant pas complètement absente, et elle n'a pas non plus la structure que lui attribuait la direction du parti socialiste; elle se présente plutôt sous la forme d'éléments concrets qui en eux-mêmes ne sont pas encore la conscience de classe (par exemple la faim), mais qui pourraient la produire par leur réunion; ces éléments ne sont pas non plus présents à l'état pur, mais sont mêlés, imprégnés de forces et de représentations psychiques de sens contraire. Un Hitler ne peut avoir raison, avec sa formule selon laquelle les masses sont influençables comme des enfants et ne font que répéter ce qu'on leur a fait ingurgiter, que dans la mesure où le parti révolutionnaire ne remplit pas sa tâche la plus importante, qui est d'élaborer la conscience de classe à partir de ses formes élémentaires, de la clarifier, de la faire progresser. Et en Allemagne, il n'en était même pas question.

Le contenu de la conscience de classe du dirigeant révolutionnaire n'est pas de type personnel; dans la mesure où les intérêts personnels (ambition, etc...) s'y mêlent, ils entravent son action. En revanche, la conscience de classe des larges masses (à l'exception de l'infime minorité de travailleurs consciemment révolutionnaires) est entièrement de type personnel. Celle-là comporte la connaissance des contradictions de l'économie capitaliste, des possibilités inouïes de la planification socialiste, de la nécessité de la révolution sociale en tant qu’adaptation de la forme d'appropriation à la forme de production, des forces historiques d'orientation progressiste ou réactionnaire. La seconde est bien éloignée de ce savoir et des vastes perspectives, elle est faite du petit, du quotidien, du banal. La première saisit le processus objectif, historique, socio-économique, les conditions extérieures de nature économique et sociale auxquelles les hommes sont soumis; ce processus doit être compris, on doit le prendre en main et le dominer si l'on veut en être le maître au lieu d'en être l'esclave. On doit donc établir une planification susceptible d'éliminer les crises fatales et de créer les bases nécessaires à la vie de tous les travailleurs. A cet égard, la connaissance précise des antagonismes américano-japonais, entre autres, est tout à fait nécessaire. La seconde , en revanche, ne s'intéresse absolument pas aux antagonismes russo-japonais ou anglo-américains, ni non plus au progrès des forces productives; elle n'est orientée que vers les reflets, incrustations et effets de ce mécanisme objectif dans la subjectivité, sous forme de multiples petites questions de la vie quotidienne; son contenu est donc l'intérêt pour la nourriture, le vêtement, la mode, les relations avec les proches, les possibilités de satisfaction sexuelle au sens étroit, les jeux et plaisirs sexuels au sens large, tels le cinéma, le théâtre, les festivités et la danse, et aussi l'intérêt pour les difficultés de l'éducation des enfants, l'aménagement de la maison, la durée et le contenu des loisirs, etc.

L'existence et les conditions d'existence des hommes se reflètent, s'incrustent et se reproduisent dans leur structure mentale, à laquelle elles donnent forme. Ce n'est qu'à travers cette structure mentale que le processus objectif nous est accessible, que nous pouvons l'entraver, ou bien le favoriser et le dominer. Ce n'est que par l'intermédiaire de la tête de l'homme, de sa volonté de travail et de sa quête de la joie de vivre, bref de son existence psychique, que nous créons, consommons, transformons le monde. C'est ce qu'ont oublié depuis longtemps ces "marxistes" qui ont dégénéré en économistes, Si la politique générale, concernant l'économie et l’État et se situant au niveau historique, a pour objectif de construire et consolider le socialisme international, et non quelque socialisme national (qu'il s'appelle comme il veut) (5), c'est-à-dire si elle veut rester marxiste, elle doit retrouver la vie quotidienne humble, banale, naïve et simple, de la plus large masse, dans toute sa diversité géographique et sociale. C'est la seule façon possible de permettre la jonction du processus sociologique objectif avec la conscience subjective des hommes, d'éliminer leur contradiction et le fossé qui les sépare; bref , de donner aux travailleurs, qui sont à la base de la civilisation et qui créent la richesse, la conscience de leurs droits, de leur permettre de prendre enfin conscience du niveau de civilisation auquel "l'élite" a déjà accédé, de leur propre mode de vie et de leur peu d'exigence dont ils font une vertu, qu'ils qualifient même parfois de révolutionnaire. Si cette jonction se réalisait, alors seulement nous quitterions les débats philosophiques internes sur l'avant-garde et la tactique, pour entrer dans la tactique vivante du mouvement de masse, dans l'activité politique liée à la vie. Il n'est pas trop osé de prétendre que le mouvement ouvrier se serait épargné une très longue histoire de sectarismes, de chapelles, de scolastique, de fractionnismes et de scissions, qu'il aurait abrégé la voie épineuse vers ce qui est essentiel pour tous, le socialisme, s'il avait tiré sa propagande, sa tactique et sa politique, non seulement des livres, mais en premier lieu de la vie des masses. C'est un fait qu'aujourd'hui la jeunesse est à maints égards bien plus avancée que ses "dirigeants", qui ne voient d'intérêt que "tactique" à des choses comme la vie sexuelle, évidentes pour la jeunesse. Cela devrait être l'inverse, le dirigeant devrait être l'incarnation de la première sorte de conscience de classe et élaborer la seconde. Celui qui connaît les luttes idéologiques du mouvement ouvrier nous aura peut-être suivi jusqu'ici plus ou moins volontiers et aura vraisemblablement pensé: "Mais il n'y a là rien de nouveau : Pourquoi ce long discours ? ". Il pourra se convaincre bien vite que nombre de ceux qui sont en principe d'accord avec nous se montrent hésitants dès qu'on en arrive au concret; ils conçoivent des objections et des doutes, ont tendance à prendre parti contre nous en invoquant Marx et Lénine. A celui qui serait tenté de le faire, nous recommandons encore une fois, avant de continuer la lecture, d'essayer de se représenter clairement cinq éléments concrets de la conscience de classe et cinq obstacles à celle-ci.
Ceux qui conçoivent la conscience de classe comme une disposition morale auront beaucoup de mal à admettre les faits suivants:

La réaction politique, le fascisme et l’Église en tête, exigent de la masse travailleuse le renoncement au bonheur terrestre, la décence, l'obéissance, la résignation, le sacrifice pour la nation, le peuple, la patrie. Le problème n'est pas qu'ils exigent cela, mais qu'ils vivent politiquement et s'engraissent de l'accomplissement de ces préceptes par La masse elle-même. Ils s'appuient donc sur les sentiments de culpabilité de l'individu moyen, sur la réserve qui lui a été inculquée, sur sa disposition à supporter les privations en silence et avec docilité, parfois même avec joie, et d'autre part sur son identification avec le glorieux Führer, qui leur offre son "amour pour le peuple" comme substitut à la satisfaction réelle. Certes, l'avant-garde révolutionnaire est elle-même soumise à une idéologie analogue, étant donné ses conditions d'existence et les buts qu'elle poursuit. Mais ce qui vaut par exemple pour le dirigeant d'un mouvement de jeunesse ne peut absolument pas valoir pour les jeunes qui le suivent. Si l'on veut engager la masse du peuple dans la bataille contre le capital, développer sa conscience de classe , l'amener à la révolte, il faut admettre que le principe de renoncement est nuisible, pesant, stupide, réactionnaire. Or le socialisme prétend que les forces productives sont bien assez développées pour assurer aux masses de tous les pays une vie conforme au niveau de civilisation. Au principe de renoncement prôné par la réaction, il faut opposer le principe du bonheur terrestre ; on comprend bien que nous n'entendons pas par là le fait de jouer aux quilles et de boire de la bière. La réserve des "gens simples", qui est la vertu selon l'Église et le fascisme, est du point de vue socialiste leur plus grave erreur, l'un des multiples facteurs qui jouent contre leur conscience de classe. L'économiste socialiste peut prouver qu'il y a assez de richesse pour assurer une vie heureuse à tous les travailleurs. Il suffit d'administrer cette preuve de façon encore plus solide, détaillée et assidue, avec tout le soin de l'enquête scientifique.


Le travailleur moyen d'Allemagne ou d'ailleurs ne s'intéresse pas au plan quinquennal de l'Union Soviétique en lui-même, mais seulement à la question de l'accroissement des satisfactions. Il raisonne en quelque sorte ainsi: "si le socialisme doit à nouveau nous apporter le sacrifice, le renoncement, la pénurie et la privation, peu nous importe que cette misère soit appelée socialiste ou capitaliste. L'économie socialiste doit prouver sa supériorité en montrant qu'elle peut satisfaire nos besoins et faire face à leur augmentation". Cela revient à dire que l'héroïsme de la direction ne vaut pas pour les larges masses. Si dans les périodes révolutionnaires on impose des privations aux masses, celles-ci ont le droit d'exiger la preuve précise que ces privations se distinguent de celles du capitalisme par leur caractère transitoire . L'administration de cette preuve est l'une des difficultés que rencontre la théorie de la possibilité du socialisme dans un seul pays. Nous nous attendons ici à ce que cette thèse suscite l'indignation. L'accusation de "mentalité petite-bourgeoise", d'épicurisme, ne manquera certainement pas d'être faite. Pourtant, Lénine promit aux paysans la terre des grands propriétaires, bien qu'il sût que le partage des terres favorisait la "mentalité petite-bourgeoise"; il réalisa la révolution essentiellement avec ce mot d'ordre, avec les paysans, et non contre eux; il avait ainsi incontestablement enfreint un grand principe de la politique et de la théorie socialistes, celui du collectivisme. Les révolutionnaires hongrois avaient en revanche des principes élevés, mais aucune notion du facteur subjectif; ils savaient bien ce qu'exige l'histoire, mais pas ce qu'exige le paysan, ils socialisèrent immédiatement la grande propriété, — et perdirent la révolution. Cet exemple parmi tant d'autres suffira à prouver que l'on ne peut atteindre le but final du socialisme qu'en passant par l'accomplissement des objectifs mineurs et immédiats des individus, par un fort accroissement de leur satisfaction. C'est alors seulement que l'héroïsme révolutionnaire peut gagner les larges masses.

Il y a peu d'erreurs aussi graves que de concevoir "la conscience de classe" comme une notion éthique. La conception ascétique de la révolution n'a jusqu'à présent conduit qu'à des difficultés et des défaites.
Certains exemples permettent de vérifier si la conscience de classe doit être considérée comme étant de nature morale, ou de nature amorale et rationnelle:

Si deux hommes A et B ont faim, l'un peut se résigner, ne pas voler, et mendier ou rester affamé; mais l'autre peut se procurer de la nourriture par ses propres moyens. Une large couche du prolétariat vit selon les principes de B. On l'appelle "lumpen-prolétariat". Ce n'est pas que nous partagions l'admiration romantique pour le monde des malfaiteurs, mais il faut éclaircir l'affaire. Lequel des deux types d'homme cités plus haut a le plus d'éléments de conscience de classe en lui ? Voler n'est pas encore un indice de conscience de classe; mais une brève analyse montre —même si cela heurte notre sens moral que celui qui ne s'adapte pas aux lois et vole s'il a faim, exprimant ainsi sa volonté de vivre, porte en lui plus de capacité de révolte que celui qui se livre docilement à l'abattoir du capitalisme. Nous soutenons que le problème fondamental d'une bonne psychologie n'est pas de savoir pourquoi l'affamé vole, mais au contraire pourquoi il ne vole pas. Nous avons dit que voler n'est pas encore la conscience de classe; c'est certain. Une brique n'est pas encore une maison; mais on bâtit des maisons avec des briques; il faut aussi des planches, du mortier, du verre et - si l'on pense au rôle du parti - des ingénieurs, des maçons, des menuisiers, etc

Nous tombons dans une ornière fatale à vouloir considérer la conscience de classe comme une exigence morale, rivalisant avec la bourgeoisie et ses porte-parole dans la réprobation de la sexualité juvénile, du personnage de la prostituée, de l'infamie du criminel, de l'immoralité du voleur. Notre conception n'est-elle pas en contradiction avec les intérêts de la révolution ? La réaction politique ne pourrait-elle pas utiliser dans sa propagande contre nous notre conception amorale de la conscience de classe ? Elle le fera certainement et la fait de toute façon depuis longtemps, bien que nous voulions si souvent prouver notre moralité. Cela ne sert à rien et ne fait que pousser les victimes du capitalisme vers la réaction politique, car elles se sentent incomprises par nous. Et nous ne sommes pas mieux considérés de la réaction politique pour autant. Pour elle, nous sommes des voleurs, parce que nous voulons exproprier les propriétaires privés de moyens de production. Devrions-nous donc abandonner aussi cet objectif fondamental, ou le dissimuler ? La réaction ne l'exploite-t-elle pas aussi contre nous ?

Tout ce qui s'appelle aujourd'hui morale ou éthique sert à l'oppression de l'humanité travailleuse. Nous pouvons prouver théoriquement et pratiquement que l'organisation sociale que nous préconisons, précisément parce qu'elle peut être amorale, est en mesure de transformer le chaos actuel en un ordre véritable. La position de Lénine sur la question de l'éthique prolétarienne était nettement inspirée par l'intérêt pour la révolution prolétarienne Tout ce qui sert la révolution est moral, tout ce qui lui nuit est immoral. Tentons de formuler la question autrement: on peut considérer comme facteurs de la conscience de classe tout ce qui contredit l'ordre bourgeois, tout ce qui contient le germe de la révolte; et inversement, comme obstacles à la conscience de classe, tout ce qui lie à l'ordre bourgeois, le soutient et le renforce . On dit qu'au cours de la révolution de novembre, lorsque les masses se déployaient dans le jardin zoologique, les manifestants prirent grand soin de ne pas piétiner les pelouses. Cette anecdote, qu'elle soit vraie ou seulement bien trouvée, résume ce qui fait en grande partie le tragique du mouvement révolutionnaire: l'embourgeoisement de l'acteur de la révolution.


Notes

(1) Il s'agit de Reich lui-même, lors d'une réunion de trotskistes allemands à Paris en I933; c'est à la suite de,cette réunion qu'il jeta sur le papier la première ébauche de cette brochure. N . d. T.

(2) La "section d'assaut" (Sturmabteilung), au début simple "service d'ordre" du parti nazi, devint une milice numériquement très importante. Mais, proche de la base de masse du parti, composée de la "pègre", elle ne fut jamais mieux qu'une bande de braillards inorganisés. Pour avoir une force plus sûre, Hitler se créa un "corps de garde" personnel (Schutzstaffel, ou S.S.), dont il confia le commandement à Himmler, en 1929. Une fois au pouvoir, en 1933, Hitler, à l'encontre de sa propagande révolutionnaire, décida de ne pas toucher à la structure militaire et industrielle de l'Allemagne; n'ayant pu faire admettre ce point de vue par l'aile gauche du parti, notamment la S.A., il fit assassiner par la S.S., en 1934, Roehm et d'autres responsables de la S.A., et quelques autres personnes qui le gênaient; c'est à cet événement que Reich fait allusion plus loin, dans sa "Remarque pendant la correction" (p. 66). Pour plus de détails sur le mouvement nazi, on peut lire le livre de William Shirer, "Le troisième Reich des origines à la chute (Stock) N. d. T.

(3) Le syndicat nazi (Nationalsozialistische Betriebsorganisation)

(4) Nom d'une organisation de loisirs allemande, reprenant le modèle du "Dopolavoro" italien. N . d . T .

(5) Hitler prêchait un socialisme national, fondé sur les vertus propres du peuple allemand. 11 appela son parti "Parti ouvrier socialiste national d'Allemagne" (Nationalsozialistische deutsche Arbeiterpartei", N.S.D.A.P., par abréviation "nazi"). On a pris l'habitude de désigner en français ce socialisme national par le terme composite de national-socialisme, directement imité de l'allemand. N.d.T.

(6) Hitler prêchait un socialisme national, fondé sur les vertus propres du peuple allemand. Il appela son parti "Parti ouvrier socialiste national d'Allemagne" (Nationalsozialistische deutsche Arbeiterpartei", N.S.D.A.P. , par abréviation "nazi"). On a pris l'habitude de désigner en français ce socialisme national par le terme composite de national-socialisme, directement imité de l'allemand. N.d.T.




Journal officiel du Reich, 13 avril 1935, n° 213:
Vu le Décret du Peuple du 4 février 1933, les publications "Qu'est-ce que la conscience de classe ?" d'Ernst Parell, "Matérialisme dialectique et psychanalyse" de Wilhelm Reich, N° 1 et 2 de la collection de psychologie politique des Editions de politique sexuelle, Copenhague, Prague, Zürich, ainsi que toutes les publica­tions ultérieures de la même collection, seront saisies et retirées de la circulation en Prusse par la police, attendu qu'elles menacent la sécurité et l'ordre publics. 41230/35 II B I. Berlin, Gestapo.


mardi 11 octobre 2016

Division du travail et conscience de classe (1971) par Paul Mattick - Matériaux pour une émission (3)

DIVISION DU TRAVAIL ET 
CONSCIENCE DE CLASSE 
(1971)

Paul Mattick



Travail productif et travail improductif

Ces derniers temps, la question de la conscience de classe a été posée de façon nouvelle, en connexion avec les concepts marxiens de travail productif et de travail improductif, et soumise ainsi à la discussion (1). Bien que Marx se soit longuement exprime au sujet de ce problème (2), soulevé par les physiocrates et les économistes classiques, il est aisé de résumer ce qu'il en pensait.

Pour savoir ce qui distingue le premier du second, Marx interroge uniquement le mode de production capitaliste. "Dans son esprit borné, dit-il, le bourgeois confère un caractère absolu à la forme capitaliste de la production, la considérant donc comme la forme éternelle de la production. Il confond la question du travail productif, telle qu'elle se pose du point de vue du capital, avec la question de savoir quel travail est productif en général ou ce qu'est le travail productif en général. Et de jouer à ce propos les esprits forts en répondant que tout travail qui produit quelque chose, aboutit à un résultat quelconque, est eo ipso un travail productif "

D'après Marx, seul est productif le travail qui produit du capital, alors qu'est improductif le travail qui s'échange directement contre du profit ou du salaire. « Le résultat du processus de la production capitaliste, expose-t-il, n'est donc ni un simple produit (valeur d'usage) ni une marchandise, c'est-à-dire une valeur d'usage ayant une valeur d'échange déterminée. Son résultat, son produit, c'est la création de plus-value pour le capital et, par suite, la conversion effective d'argent ou de marchandises en capital, ce qu'antérieurement au processus de la production ils ne sont que par intention. en soi par destination. Le processus de production absorbe plus de travail qu'il n'a été payé, et cette absorption, cette appropriation de travail non payé, qui s'accomplit dans le processus de la production capitaliste, en constitue le but immédiat. Car ce que le capital (et donc le capitaliste en tant que capitaliste) veut produire, ce n'est ni une valeur d'usage immédiate à des fins d'autoconsommation, ni une marchandise destinée à être convertie d'abord en argent, puis en valeur d'usage. Il a pour but l'enrichissement, la valorisation de la valeur, son accroissement, et par conséquent le maintien de l'ancienne valeur et la création de plus-value. Et ce produit spécifique du processus de la production capitaliste, il ne l'obtient que grâce à l'échange avec le travail qui, pour cette raison, est appelé productif» (4).

En effet, processus de production et processus de circulation forment en système capitaliste une totalité et une seule. Il faut donc distinguer la création de la plus-value d'avec sa distribution, le fait que dans la sphère de la production comme dans la sphère de la circulation des salaires soient versés et des profits réalisés estompant la distinction entre travail productif et travail improductif. La division du travail, prise en tant que produit historique - et soumis à de perpétuels changements - du développement capitaliste, a pour conséquence que le capital se répartit entre les diverses branches de l'économie de marché et, par là, que les capitaux employés improductivement reçoivent une part de la plus-value sociale globale. De même que le capital générateur de plus-value, le capital non créateur de produits revêt la forme d'entreprises fournissant un profit moyen au capital qui s'y trouve investi.

Cette unité des deux types de travail ne se manifeste pas seulement dans le processus d'ensemble de la production capitaliste. Au sein des entreprises génératrices de plus-value, on assiste également à une division du travail, en fonction de laquelle une partie de la main-d’œuvre crée directement de la plus-value, et l'autre indirectement. D'après Marx, «le mode de production capitaliste a justement pour trait distinctif de séparer les diverses sortes de travail - et donc aussi le travail intellectuel d'avec le travail manuel - ou les travaux appartenant à l'une ou à l'autre de ces catégories, et de les repartir entre des personnes différentes.  Pourtant, cela n'empêche nullement le résultat matériel d'être le produit collectif de ces personnes ou leur produit collectif de s'objectiver dans la richesse matérielle, chose qui, à son tour, n'empêche pas le fait - ou n'y change absolument rien - que le rapport de chacune de ces personnes au capital reste celui de travailleurs salariés et, en ce sens éminent, celui de travailleurs productifs.

Toutes ces personnes sont non seulement employées immédiatement à produire de la richesse matérielle, mais par surcroit, elles échangent immédiatement leur travail contre de l'argent en tant que capital et reproduisent ainsi immédiatement outre leur salaire une plus-value pour les capitalistes » (5).

En dehors des emplois lies à la production des marchandises et à leur circulation, il existe une foule de professions qui, sans participer ni de l'une ni de l'autre de ces sphères, produisent des services et non des marchandises. Leurs membres émargent au budget soit des travailleurs ou des capitalistes, soit des uns et des autres. Du point de vue du capital, et quelque utile ou nécessaire que puisse être leur travail, celui-ci est improductif : que leurs services soient achetés en tant que marchandises ou rémunérés avec de l'argent provenant des impôts, tout ce qu'ils encaissent est pris sur le revenu des capitalistes ou le salaire des travailleurs.

Voilà qui parait devoir soulever une difficulté. En effet, parmi ces professions, il en est beaucoup (enseignants, médecins, chercheurs,  scientifiques, acteurs artistes) dont les membres tout en produisant uniquement des services, ne se trouvent pas moins en situation d'employés et rapportent du profit à l'entrepreneur qui leur donne de l'ouvrage. C'est pourquoi celui-ci considère comme productif ce travail qu'il a payé et qui lui a permis de réaliser un profit, de valoriser son capital. Pour la société cependant, ce travail reste improductif étant donné que le capital ainsi valorisé représente une certaine part de la valeur et de la plus-value créées dans la production. De même, en ce qui concerne tant le capital commercial et le capital bancaire que les employés de ces deux secteurs: en ce cas également, du sur-travail est produit et du capital valorisé, bien que les salaires et les profits afférents à ces branches soient nécessairement prélevés sur la valeur et la plus-value créées dans Ia production.

En outre, il subsiste aujourd'hui encore des artisans et des paysans indépendants qui n'emploient pas d'ouvriers et donc ne produisent pas en qualité de capitalistes.  « Ils se présentent uniquement comme des vendeurs de marchandises, non comme des vendeurs de travail; ce travail n'a donc rien à voir avec l'échange du capital et du travail. ni par conséquent avec la distinction entre le travail productif et le travail improductif, laquelle repose sur le fait que le travail est échangé contre de l'argent soit en tant qu'argent, soit en tant que capital. Tout en étant des producteurs de marchandises, ils n'appartiennent donc ni à la catégorie des travailleurs productifs ni à celles des travailleurs improductifs. Mais leur production n'est pas subordonnée au mode de production capitaliste » (6).

La conscience de classe dans son rapport au travail productif et au travail improductif

L'existence du taux de profit moyen, que la concurrence établit en fonction de l'offre et de la demande, fait qu'il importe peu au capitaliste que son capital soit investi dans la production, dans la circulation ou dans les deux sphères à la fois. Le problème du travail productif et du travail improductif ne se pose pas pour lui. Pas plus les travailleurs ne se demandent s'ils sont employés de manière productive ou improductive. Dans un cas comme dans l'autre, en effet, leur existence dépend toujours de la vente de leur force de travail. En conséquence de la division capitaliste du travail, chaque grande catégorie professionnelle reçoit un salaire différent. Les travailleurs se font concurrence d'abord pour se trouver du travail, ensuite pour obtenir les emplois les mieux rétribués et les moins pénibles. Tout se passe comme si le capital laissait la concurrence entre travailleurs fixer les conditions propres à Ia reproduction de la force de travail.

L'accumulation du capital s'assortit de la concurrence entre capitaux d”une part, entre travailleurs d'autre part, et d'une confrontation permanente patrons-ouvriers au sujet du niveau des salaires et donc des profits. Ces divers facteurs se chevauchent et s'influencent réciproquement. Leurs intérêts économiques respectifs prennent aux yeux des capitalistes et des travailleurs l'aspect d'intérêts de classe. Les premiers ne font pas face séparément aux travailleurs dans leur ensemble, ni ces derniers au capital dans son ensemble. L’État et l'idéologie capitalistes servent à garantir l'intérêt collectif des capitalistes au maintien des rapports de production existants. Quant à l'intérêt collectif des travailleurs, il doit, pour prévaloir, l'emporter sur la concurrence que ceux-ci se livrent entre eux et ne peut aller au-delà des limites que la dépendance du travail par rapport au capital lui assigne. Cela s'applique au travail productif comme au travail improductif.

Quand Marx parle du développement de la conscience de classe prolétarienne, il le fait sur la base non point de la distinction entre les deux types de travail, mais des changements qui surviennent dans les rapports de classe en même temps que l'accumulation du capital se poursuit et que, de ce fait, la division de la société en deux grandes classes grandit la masse de la population se prolétarisant progressivement. C'est ainsi qu'on peut lire dans Le Capital: « A mesure que diminue le nombre des potentats du capital qui usurpent et monopolisent tous les avantages de cette période d'évolution sociale, s’accroissent la misère, l'oppression, l'esclavage. la dégradation, l'exploitation, mais aussi la résistance de la classe ouvrière sans cesse grandissante et de plus en plus disciplinée, unie et organisée par le mécanisme même de la production capitaliste. Le monopole du capital devient une entrave pour le mode de production qui a grandi et prospéré avec lui et sous ses auspices. La socialisation du travail et la centralisation de ses ressorts matériels arrivent à un point où elles ne peuvent plus tenir dans leur enveloppe capitaliste. Cette enveloppe se brise en éclats. L'heure de la propriété capitaliste a sonné. Les expropriateurs sont à leur tour expropriés " (7).

Ainsi tout portait à croire que les travailleurs «éduqués unis et organisés par le processus de la production capitaliste », prendraient conscience tant de leur exploitation et de leur situation de classe que de la possibilité d'abolir les rapports de production capitalistes qui s'offrait à eux. L'activité collective de milliers de travailleurs au sein de la fabrique et l'obligation où ils se trouvaient le plus fortement parmi eux, étant donné que c'est à l'usine que l'exploitation capitaliste se fait le plus nettement sentir et que la lutte contre elle y revêt les aspects les plus prometteurs. De fait, la lutte du Capital et du Travail se déroula longtemps exclusivement dans la sphère de la production.

Il ne faudrait pas en conclure néanmoins que le caractère productif du travail et lui seul se trouve à l'origine de ce genre de conscience de classe et que le travail improductif rend plus difficile, voire même interdit, sa formation. Dans la sphère de la circulation comme dans l'autre, le processus de concentration capitaliste a pour effet de rassembler de grandes masses de travailleurs, leur ouvrant des lors des possibilités d'action qui ne le cèdent en rien à celles des travailleurs productifs. Ainsi a-t-on vu les premiers s'organiser et se lancer dans des mouvements de gréve exactement comme les seconds. Et la conscience de classe, lorsqu'elle s'exprime à travers des luttes économiques, caractérise donc également les deux catégories de travailleurs.

La conscience de classe surgit en fonction de la situation de classe des travailleurs, et non de la place particulière qui leur revient dans le cadre de la division capitaliste du travail, cela quand bien même elle a fait son apparition chez les travailleurs productifs plus tôt que chez les autres. Pour savoir si les travailleurs improductifs peuvent s'en former une, dans une mesure comparable aux travailleurs productifs, il faut d'abord définir ce qu'elle est au juste. Si avoir une conscience de classe consiste à discerner les rapports de production capitalistes et à défendre ses intérêts contre le capital, force est d'admettre que cette conscience existe dans un cas comme dans l'autre. Les travailleurs des deux catégories se considèrent comme une classe opposée aux capitalistes - même s'ils ne recourent pas à la notion de classe et cherchent à sauvegarder leurs leurs intérêts face au capital.
Jusqu'à présent, ni les uns ni les autres ne se sont demandé comment il faudrait s'y prendre pour élargir encore le rapport capital-travail. Leur "conscience de classe" se situe sur le terrain du capitalisme, et est inutile de s’appesantir sur l'idée qu'il se font de leur condition sociale, attendu qu'ils sont contraints objectivement de faire valoir leurs intérêts économiques en fonction des rapports de classe existants.

La conscience de classe révolutionnaire, qui vise à jeter bas le système capitaliste, est d'un tout autre genre. Productifs ou non, les travailleurs en sont à cent lieues. Aussi bien, lorsqu'en temps de crise sociale certaines fractions des masses laborieuses d'Europe se lancèrent à l'assaut de l'ordre établi, ces tentatives étaient liées à la crise, non au caractère productif de leur travail; de plus, aux côtés de ces éléments-là en figuraient d'autres, originaires quant à eux de diverses catégories sociales. On notera en outre que si, par delà les revendications immédiates, le mouvement ouvrier à ses débuts fit du socialisme son but final, il ne tarda guère à y renoncer.

C'est pourquoi on ne saurait considérer les travailleurs productifs, en cette unique qualité, comme détenant à eux seuls la conscience de classe. Certes, ils peuvent y arriver en temps de crise, mais il en est de même pour d'autres catégories de la population laborieuse.


Tiré de Paul Mattick, Intégration capitaliste et rupture ouvrière Préface de Robert Paris, traduction de Serge Bricianier, Paris, E.D.I. , 1972, 271 p



Extrait tiré de Paul Mattick, Intégration capitaliste et rupture ouvrière Préface de Robert Paris, traduction de Serge Bricianier, Paris, E.D.I. , 1972, 271 p


Notes

(I) Cf., la série d'articles sur le thème «Travail productif cl travail improductif en système capitaliste », in : Sozialistische Politik (Berlin). numéros 6-7 et 8, juin et sept. 1970, avec les contributions de Juachim Bischoff, Heíner Gansmann, Gudrun Kümmel, Gerhard Löhlein, Christoph Hübner, Ingrid Pilch, Lothar Riehn; Elmar Altvater, Freerk Huisken.

(2) «Théories du travail productif et du travail improductif », in: Theorien über der Mehrwert, Marx-Engels Werke, 26/ l. ci-apres abrégé en: Theorien, pp. 122-277. (Cf. K. MARX, Histoire des doctrines économiques, trad. J. Molitor, tome 2, pp. 5-188.)

(3) Theorien, pp. 368-369. [Ce fragment, ne figurant pas dans la première version de l'ouvrage, est donc absent de la version Molitor; on en trouvera une traduction, in: K. MARX, Œuvres. Économie, éd. Rubel. Il, Paris, 1968, p. 388. (N. d. T.)]

(4) Theorien p. 375.

(5) Theorien, p. 387.

(6) Theorien, p. 382. (Cf. aussi, K. MARX, Oeuvres II, op. cit., p. 401.)

(7) K. MARX, Capital I, 3, p. 205.



Marxism in a Lost Century: A Biography of Paul Mattick 
par Gary Roth - Haymarket Books coll. (Historical Materialism)
2015. 344p.  ISBN-10: 1608465535

god does not exist




All religions, with their gods, their demigods, and their prophets, their messiahs and their saints, were created by the credulous fancy of men who had not attained the full development and full possession of their faculties. 

Consequently, the religious heaven is nothing but a mirage in which man, exalted by ignorance and faith, discovers his own image, but enlarged and reversed - that is, divinized. The history of religion, of the birth, grandeur, and decline of the gods who have succeeded one another in human belief, is nothing, therefore, but the development of the collective intelligence and conscience of mankind. As fast as they discovered, in the course of their historically progressive advance, either in themselves or in external nature, a power, a quality, or even any great defect whatever, they attributed them to their gods, after having exaggerated and enlarged them beyond measure, after the manner of children, by an act of their religious fancy. Thanks to this modesty and pious generosity of believing and credulous men, heaven has grown rich with the spoils of the earth, and, by a necessary consequence, the richer heaven became, the more wretched became humanity and the earth. God once installed, he was naturally proclaimed the cause, reason, arbiter and absolute disposer of all things: the world thenceforth was nothing, God was all; and man, his real creator, after having unknowingly extracted him from the void, bowed down before him, worshipped him, and avowed himself his creature and his slave. 

Christianity is precisely the religion par excellence, because it exhibits and manifests, to the fullest extent, the very nature and essence of every religious system, which is the impoverishment, enslavement, and annihilation of humanity for the benefit of divinity.
 
God being everything, the real world and man are nothing. God being truth, justice, goodness, beauty, power, and life, man is falsehood, iniquity, evil, ugliness, impotence, and death. God being master, man is the slave. Incapable of finding justice, truth, and eternal life by his own effort, he can attain them only through a divine revelation. But whoever says revelation says revealers, messiahs, prophets, priests, and legislators inspired by God himself; and these, once recognized as the representatives of divinity on earth, as the holy instructors of humanity, chosen by God himself to direct it in the path of salvation, necessarily exercise absolute power. All men owe them passive and unlimited obedience; for against the divine reason there is no human reason, and against the justice of God no terrestrial justice holds. Slaves of God, men must also be slaves of Church and State, in so far as the State is consecrated by the Church. This truth Christianity, better than all other religions that exist or have existed, understood, not excepting even the old Oriental religions, which included only distinct and privileged nations, while Christianity aspires to embrace entire humanity; and this truth Roman Catholicism, alone among all the Christian sects, has proclaimed and realized with rigorous logic. That is why Christianity is the absolute religion, the final religion; why the Apostolic and Roman Church is the only consistent, legitimate, and divine church. 

With all due respect, then, to the metaphysicians and religious idealists, philosophers, politicians, or poets: The idea of God implies the abdication of human reason and justice; it is the most decisive negation of human liberty, and necessarily ends in the enslavement of mankind, both in theory and practice.
 
Unless, then, we desire the enslavement and degradation of mankind, as the Jesuits desire it, as the mÙmiers, pietists, or Protestant Methodists desire it, we may not, must not make the slightest concession either to the God of theology or to the God of metaphysics. He who, in this mystical alphabet, begins with A will inevitably end with Z; he who desires to worship God must harbor no childish illusions about the matter, but bravely renounce his liberty and humanity. 

If God is, man is a slave; now, man can and must be free; then, God does not exist.

Mikhail Bakunin in God and the State


DIEU ET L'ÉTAT (1871) - première publication 1882

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lundi 10 octobre 2016

Pour une définition de la "conscience de classe" - Matériaux pour une émission (2)

Pour une définition de la "conscience de classe" *


Extrait de : Korsch, Lukacs et le problème de la conscience de classe de
 Joseph Gabel
 [article] Annales. Économies, Sociétés, Civilisations
 Année 1966 Volume 21 - Numéro 3 pp. 668-680

"Cette méfiance latente à l'égard de la dialectique caractérise aussi bien le « marxisme orthodoxe » de la deuxième Internationale que le marxisme communiste. La mise en évidence, au delà des divergences politiques d'ordre souvent concurrentiel, d'une parenté occulte de ces deux grandes variantes du marxisme, constitue sans doute l'apport gnoséo-sociologique majeur de l'essai de Korsch.

Les disciples de Kautsky et ceux de Lénine sont également hostiles à la dialectique, encore que cette tendance anti-dialectique larvée fasse appel à des « théories de couverture » différentes selon les cas. Les uns comme les autres ont tendance à utiliser le marxisme non pas « comme une véritable théorie, c'est-à-dire l'expression générale et rien d'autre, du mouvement historique réel (Marx) (1), mais comme une « idéologie que l'on prend toute armée à l'extérieur (2) ». Korsch, on le voit, emploie le mot « idéologie » dans son acception marxiste-mannheimienne : un système d'idées déphasé par rapport au mouvement historique réel, autrement dit la cristallisation d'une forme de fausse conscience politique. Paul Mattick a particulièrement insisté sur ce dernier point (3). Le combat contre le dogmatisme, véritable obsession intellectuelle de Korsch, ne relève donc pas du révisionnisme mais de la désaliénation.

Avec cette notion de l’« idéologie » que l'on prend toute armée (fix und fertig) à l'extérieur, nous sommes au cœur du problème philosophique central de l'essai de K. Korsch : celui du caractère autonome ou hétéronome de la conscience de classe (4). L'importance proprement philosophique du concept d'autonomie n'est plus à souligner : il suffit de rappeler les noms de Kant et de Piaget. En revanche, son rôle dans la théorie de la conscience de classe est bien moins étudié. La théorie marxiste n'a jamais pris une position nette dans cette question ; aussi bien sa conception de la conscience de classe a constamment oscillé entre les principes de l'autonomie et de l'hétéronomie. Marx a certes souligné sans équivoque que la libération du prolétariat doit être l'œuvre autonome de cette classe. La théorie léninienne du parti politique — théorie contre laquelle s'est insurgée Rosa Luxembourg — constitue en revanche une concession capitale au principe de l'hétéronomie : le parti est censé diriger « de l'extérieur » la lutte de classes. Cette théorie a donc préparé le chemin du stalinisme au sein duquel la tendance simplement hétéronomique de l'idéologie léniniste finira par dégénérer en véritable aliénation politique (5).

En généralisant l'usage de catégories comme « conscience de classe », « fausse conscience », « prise de conscience » ou « conscience possible » (L. Goldmann), le marxisme a d'autre part posé le problème général d'une philosophie de la conscience (Bewusstseinsphilosophie) mais il l'a posé sans parvenir à le résoudre faute d'un appareil conceptuel exempt d'équivoque. « Le marxisme a besoin d'une théorie de la conscience » (6), a écrit M. Merleau-Ponty. En fait, cette « théorie marxiste de la conscience » * existe implicitement dans les applications concrètes plus ou moins fructueuses que permet par exemple la notion de conscience de classe. Mais c'est un édifice comportant des étages sans fondations ni rez-de-chaussée. Elle nous offre des applications théoriques mais aucune définition unanimement admise. La confusion intellectuelle qui caractérise la plupart des écrits marxistes consacrés au problème de l'aliénation, est sans doute la rançon de ce désarroi conceptuel. L'une des tâches philosophiques les plus urgentes de la réflexion marxiste non-dogmatique, est probablement la mise au point d'une théorie cohérente de la conscience politique, fondée sur des définitions précises et susceptibles d'être adoptées par la totalité ou la grosse majorité des chercheurs. Dans l'état actuel de la théorie marxiste une telle entreprise théorique a tout intérêt à suivre la méthode préconisée par le logicien allemand Sigwart : partir de l'analyse critique de certains concepts déjà « opérationnels » comme celui de « conscience de classe » ou de « fausse conscience », pour aboutir par voie réductive (7) à une définition de la notion marxiste de la conscience. En attendant, ceux qui manient ces concepts sans préparation philosophique suffisante, risquent de succomber à la séduction de la conception « cognitivo-manichéenne » (scientiste) de la conscience politique : la conscience de classe est un ensemble de théories sociologiques « adéquates à l'être » ; la fausse conscience est un ensemble de théories inadéquates, autrement dit : un ensemble d'erreurs. Faisant écho à la constatation de Merleau-Ponty, K. Axelos signale que pour le marxisme courant les notions de « conscience », « connaissance » et « pensée » étaient pratiquement des concepts interchangeables (8).

On comprend que l'interprétation cognitivo-manichéenne de la conscience politique convienne particulièrement au marxisme dogmatique dont elle satisfait à la fois l'orientation scientiste et la tendance manichéenne : vérité contre erreur, esprit scientifique contre irrationalisme (9). Mais en l'acceptant, il sacrifie obligatoirement l'autonomie de la conscience de classe… "


Notes

* Titre Vosstanie.

Nous ne savons pas qui sont les "chercheurs" chez Gabel. En ce qui nous concerne cela sera les prolétaires qui luttent pour l'abolition des classes et du capital.


1. Korsch, op. cit., p. 35.
 
2. Ibid. Mais traduire « fix und fertig » (original p. 17) par « toute armée » n'est pas heureuse.
 
3. Il existe à notre connaissance deux articles de Paul Mattick consacrés à Korsch : celui déjà cité dans Survey et un autre traduit en français et publié dans les Cahiers de l'Institut de Science Economique appliquée (août 1963, S. n° 7, Suppl. n° 140, pp. 159-180 (« Karl Korsch ») suivi d'un texte inédit de Korsch. Dans les deux articles, Mattick souligne avec force que la critique de Korsch vise essentiellement la fausse conscience inhérente à l'idéologie léniniste : « ... le dogmatisme de Lénine ne pouvait fonctionner que comme la fausse conscience d'une pratique contre-révolutionnaire » (art. franc., pp. 166-167, passage souligné par nous). Cf. aussi art. angl. déjà cité, note 91-92, 96 et passim.
 
4. Cet emploi des concepts d'autonomie et de hétéronomie n'est pas de Korsch mais de nous.
 
5. Il ne saurait être question d'entreprendre ici une analyse en profondeur du problème des rapports entre les notions d’hétéronomie et d'aliénation : nous nous bornerons à observer que, du point de vue purement philologique, la différence des deux est surtout de degré.
 
6. Les Aventures de la Dialectique, Paris, Gallimard, 1955, p. 55.
 
7. Selon Sigwart et ses disciples (le logicien hongrois A. Pauler) la méthode reductive — dont notre exemple ci-dessus offre un exemple — constitue, par opposition à l'induction et à la déduction, la méthode spécifique de la philosophie.
 
8. Cf. K. Axelos, Marx, penseur de la technique, Paris, Éditions de Minuit, 1961, p. 135.
 
9. En ce qui concerne le problème de la fausse conscience, cette conception « cognitivo-manichéenne » a été défendue par Goldmann dans son exposé du Congrès de Stresa et ailleurs (Cf. L. Goldmann, « Conscience réelle et conscience possible ; conscience adéquate et fausse conscience », Actes du quatrième Congrès de Sociologie, sept. 1959, vol. IV ; et aussi Sciences humaines et Philosophie, Paris, Presses, 1958, pp. 38-39, 103-104 et passim. Dans ces textes Goldmann reste lukàcsien mais sa pensée est bien plus tributaire de La Destruction de la Raison que d'Histoire et Conscience de Classe.
 
L'expression « cognitivo-manichéenne » est bien entendu nôtre ; ailleurs nous avons désigné, moins heureusement, la conception de Goldmann comme l'interprétation rationaliste de ce phénomène. Mais Goldmann s'est borné à formuler une théorie qui sous-tend de façon implicite la plupart des entreprises de critique idéologique du marxisme orthodoxe : au lieu de montrer une liaison structurelle (Seinsgebundenheit) entre conscience et être, on se borne à dénoncer Yerreur de V adversaire. L'un des apports de l'essai de Korsch consiste précisément en ce qu'il montre la cohérence de cette conception avec toute la théorie marxiste orthodoxe de la conscience de classe, considérée comme un ensemble de « théories adéquates » élaborées par des intellectuels et non pas comme une prise de conscience des possibilités autonomes de la classe ouvrière surgie, pratiquement sans médiation, de la lutte politique. Cette dernière conception est celle de Lukàcs ; on comprend qu'elle ne pût pas être homologuée par le stalinisme, ni même par les héritiers idéologiques de ce dernier.